samedi 15 mars 2008

L'attentat de la croix du Staufen

16 mars 1981. Au milieu de la nuit encore hivernale, s'avancent à travers les chemins boisés trois ombres anonymes en direction du Staufen, colline qui surplombe la vallée de Thann. A son sommet se dresse fièrement une croix de Lorraine tout de béton, inaugurée en grande pompe (1) le 7 juillet 1949. Ce monument dédié à la Résistance alsacienne de la seconde guerre mondiale se voulait avant tout «durable, face au Rhin et visible de la plaine d'Allemagne».

Soudain, une gerbe de lumière embrasse le ciel puis un bruit sourd retentit dans toute dans la vallée. Il est très exactement 22h25. L'alerte est rapidement donnée. Hagards, les yeux des habitants se tournent vers la croix du Staufen qui a mystérieusement disparu du paysage. Arrivés sur les lieux, pompiers et gendarmes découvrent la croix de Lorraine couchée à même le sol. L'opération est un succès.



Sur le perron menant à la croix, une lettre rédigée en allemand déposée à l'intention des enquêteurs:
«Le monument de la "Résistance" à Thann

Le monument en béton à présent dynamité avait été érigé en 1949 par les colonisateurs et les collaborateurs pour rappeler éternellement la haine contre la nation allemande.
Nous exigeons dans chaque classe sans exception, l'enseignement de l'allemand.
Notre terre et notre langue nous appartiennent à nous Alsaciens, à nous seuls.»
Elle est signée Elsässische Kampfgruppe-die Schwarzen Wölfe, les Loups noirs.

Une lettre et un acte symbolique, sans doute en réponse à la plaque commémorative en bronze, qui a volé en éclats lors de l'explosion, sur laquelle était ostensiblement écrit:
«Face à l'envahisseur, notre fidélité a bravé la force, trois siècles en témoignent 1648-1948»
Le microcosme politique alsacien s'agite et on n'hésite pas à employer les grands mots. On dénonce à tour de bras un «acte odieux et criminel» et on évoque déjà l'orientation fasciste et néo-nazie des dynamiteurs. Reductio ad Hitlerum ou comment rendre les Alsaciens plus que suspects lorsqu'ils revendiquent un peu trop fort leur attachement au bilinguisme!

Face à la ferme volonté de la municipalité de Thann de reconstruire une croix identique, les Loups noirs rééditent leur coup en plastiquant cette dernière le soir du 20 septembre 1981, n'omettant pas cette fois-ci d'apposer leur "griffe" au spray.

L'unique série d'attentats politiques en Alsace s'achève le 14 octobre 1981 avec l'arrestation des Loups noirs. Les Alsaciens découvrent stupéfaits le profil des auteurs de ces actes. Trois Alsaciens, la cinquantaine, artisans, socialement bien intégrés et au casier judiciaire vierge. Un «gang de papys» tranquilles, témoins malgré-eux de l'agonie de leur langue. Si loin de l'image qui leur avait été attribuée dans les médias et les discours politicards bien-pensants!

*
Texte envoyé par les Loups noirs aux quotidiens DNA et l'Alsace après le second plasticage.
«Staufen Kreuz von Thann:

Kein Monument den angeblichen "BEFREIER" solange die Politiker nicht von uns gestellten Bedigungen befolgen.

1681-1981:

300 Jahre französischen Kolonialismus im Elsass, sind 300 Jahre zu viel!
Die Eroberung von Elsass-Lothringen war damals keine BEFREIUNG sondern völkerrechtwidriger RAUB.
Wir fordern Deutschunterricht in allen Schulen von Elsass-Lothringen.
Wir lassen unsere Muttersproch und Kultur nicht unterdrücken.
Wir wollen sein ein freies Volk, in eigenem Land!

EKSW»
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(1) Discours inaugural de Gaston Monnerville au Staufen, http://www.senat.fr/histoire/associations/stauffen.html#liberte

Bibliographie: Les Loups Noirs: autonomisme & terrorisme en Alsace par Bernard Fischbach (éditions Alsatia-Union) épuisé

Une Histoire de l'Alsace, Autrement par Bernard Wittmann, éditions Rhyn un Mosel/ENA

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