dimanche 23 décembre 2007

Que reste-t-il d'européen à Strasbourg ?

Suite à l'élimination prématurée de la ville de Strasbourg qui se voyait déjà être couronnée du titre de capitale européenne de la culture 2013 et aux sévères critiques du jury déclarant "heureusement que vous avez l'Allemagne et la Suisse"* (tout est dit !), aux récentes attaques du pouvoir parisien dirigées contre les professions de foi bilingues prétextant l'économie d'encre et de cellulose, à la négation de l'existence de notre langue régionale, l'allemand par un vulgaire arrêté ministériel, à une convention quadripartite fort peu ambitieuse dénoncée par bon nombres d'élus de tout bord, ne sommes nous pas en droit de nous demander ce qu'il reste encore d'européen à Strasbourg et, par extension, en Alsace ?

Pierre Klein, philosophe et essayiste alsacien, militant actif pour la défense du bilinguisme, brise à travers cet article le mythe d'une Alsace intensément européenne et qui serait, comme du temps de Gutenberg, culturellement intégrée dans l'espace rhénan, situation faussement idyllique dont se targuent nos élus depuis un demi-siècle. Mais les faits sont têtus, l'Histoire parle d'elle même, n'en déplaise à notre égo! L'Alsace perdant brutalement son caractère alémanique a perdu de son caractère européen au profit d'un monolinguisme intolérant. Cette prise de conscience est impérative pour qui veut changer le cours des choses et guider l'Alsace vers une voie plus juste et plus respectueuse de son double héritage culturel. C'est l'énorme défi à relever pour la décennie à venir, un dernier sursaut, avant qu'il ne soit trop tard...

In varietate concordia !
*

En 1949, le Conseil de l’Europe tenait à Strasbourg sa première session, ville où il a été installé. Le choix de Strasbourg, qui fait suite à une proposition britannique, est très symbolique d’une volonté commune de paix, d’une union dans la diversité et du triomphe de la raison et du droit sur la folie meurtrière et fratricide. Parce que dans cette ville historique se sont heurtés et affrontés les nationalismes français et allemand et parce que dans cette ville se sont aussi rencontrées et fécondées la culture française et la culture allemande, la reconstruction ne pouvait que commencer à Strasbourg. A Strasbourg de relever le défi permanent qui consiste à demeurer pour l’Europe et le monde un symbole de démocratie, de vivre ensemble, de respect de l’altérité, de reconnaissance de la différence et de culture plurielle.

Mais Strasbourg tient-elle encore le symbole, tient-elle encore lieu d’exemple ? N’est-elle pas devenue, au fil des décennies, une simple ville de province ? L’ambition première, évidemment inavouée, n’était-elle pas d’en faire, avant tout, une ville comme toutes les autres villes de France ? Quelle image, quelle lisibilité Strasbourg se donne-t-elle d’elle-même, une image française ou une image européenne ? Dans quelle langue Strasbourg communique-t-elle ? Dans quelle langue y jouent-on au théâtre et y projette-t-on les films ? Dans quelle langue prêche-t-on à la Cathédrale (1) ?

La ville procède-t-elle de l’esprit européen, quand on sait qu’elle ne fait rien ou pas grand chose pour défendre et promouvoir sa langue première, la langue allemande, le bilinguisme et la culture bilingue ? Alors, Strasbourg, fière de son passé (2) et illustrant une francitude ouverte et plurielle ou Strasbourg, ville refoulant sa germanitude, repliée sur ses problèmes franco-français et satellisée par Paris ?

Strasbourg s’est-elle installée en Europe ou L’Europe s’est-elle installée à Strasbourg ? Mais où sont donc passées les langues d’Europe ? Que fait-on à Strasbourg de la devise européenne d’union dans la diversité ? Quelle est la contribution de Strasbourg au syncrétisme culturel européen, à l’interculturalité européenne ? Quelle occasion la ville donne-t-elle aux peuples européens de s’y rencontrer ? Strasbourg organise-t-elle annuellement une grande fête populaire de l’Europe et de sa diversité, une foire européenne du livre, un festival européen du film et/ou de la chanson, un prix européen de l’engagement politique, des journées européennes de la jeunesse, un colloque sur l’histoire de l’Europe et de ses membres… ?

Les réponses soulèvent l’ultime question. Strasbourg participe-t-elle réellement de l’Europe ?

Peut-on raisonnablement revendiquer le titre de capitale européenne lorsque l’on se contente du rang de simple ville provinciale d’un pays qui, à l’heure actuelle, ne pourrait plus adhérer au Conseil de l’Europe, faute de s’appliquer les principes de la démocratie culturelle qui en émanent (notamment la Charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires et la Convention pour la protection des minorités). L’Europe ce n’est pas seulement ses institutions ou encore que le périmètre entre l’Orangerie et le Wacken. L’Europe doit être au cœur de Strasbourg et Strasbourg doit être le cœur de l’Europe. Aux politiques de s’en donner les moyens. Sans les institutions européennes et la Cathédrale, mais qui viendrait encore à Strasbourg pour y vivre l’Europe. Peut-être bien personne. L’Europe n’y est pas et son esprit n’y souffle pas vraiment. Il ne faudra pas verser des larmes de crocodile le jour où le Parlement quittera la ville. Strasbourg ne peut pas être une ville comme les autres. Au-delà d’être française, elle se doit d’être européenne.

Pierre Klein

(1) Rappelons qu’elle a été construite par et pour les habitants des deux rives du Rhin.

(2) Cela fait vingt ans qu’elle n’a pas de musée historique, de plus, elle n’a jamais songé à reconstruire son premier Hôtel de ville (gothique) symbole de ses libertés.

Publié dans Vivre l'Alsace n°5 (mai/juin 2006)

* selon France3 Alsace et DNA du 20/12/2007

Aucun commentaire: