vendredi 25 janvier 2008

Sherpa et Départements

Le psittacisme étant à l’art journalistique ce que la fourberie est à la pratique politique, l’ancien sherpa de François Mitterrand, l’inénarrable Jacques Attali, a donc remis son rapport au président Sarkozy. Le sherpa, non, non, ce n’est pas le guide de montagne des régions himalayennes, Mitterrand se contentait de la roche de Solutré, mais c’est l’ami du président qui gravitait déjà dans les hautes sphères du pouvoir élyséen.

Le nouveau président, donc, en toute indépendance, avait demandé à l’ancien sherpa de présider une commission indépendante pour la « libération de la croissance ». Eh oui, contrairement à Chirac, la croissance est prisonnière et le très libéral et cosmopolite Attali, socialiste à ses heures perdues, veut la libérer. Jusque là tout va bien. La France, anciennement fille aînée de l’Eglise, pays des droits de l’Homme en titre, s’ouvre sur le monde.

Plus de flexibilité, plus d’immigration, plus de dérégulation, moins de frontières, le monde est un village, la mondialisation heureuse et le libéralisme, armé des certitudes de ses dogmes, dure avec les humbles mais si tendre avec les puissants, donne des leçons d’universalisme à une gauche franchouillarde dont il est désormais le seul horizon. Non vraiment, tout va bien. «Si certains ont été effrayés par le contenu de vos propositions, moi je les trouve plutôt raisonnables dans l'essentiel» fanfaronne le président de tous les français.

« Sarkozy rejette deux propositions du rapport Attali » titre le Figaro. Trois cent seize propositions, trois cent quatorze proposition de bon sens, en fait. Sarkozy ne veut pas qu’on touche au principe de précaution. Soit. C’est la première proposition rejetée par notre président omniscient.

La deuxième est la suppression des départements. On ne sait pas toujours ce qui se passe dans la tête d’un homme, ancien sherpa ou pas. Monsieur Jacques Attali aurait pu décréter les marées noires bénéfiques à la faune et la flore de Bretagne, monsieur Jacques Attali aurait pu proposer le référendum d’initiative populaire, la sortie de la zone euro ou l’indexation de la rémunération des élus du peuple sur le taux d’inflation. Non. Monsieur Jacques Attali est un visionnaire, monsieur Jacques Attali est un artiste. A deux mois des municipales, et donc aussi des cantonales, il remet en main propre au président de la république une et indivisible un rapport proposant gentiment, entre trois cent quinze autres propositions, de supprimer les départements. Départements qui avaient précisément été crées dans le but de saucissonner et de détruire les anciennes provinces, provinces qui préexistaient au royaume de France, et dont certaines étaient de véritables nations. Supprimer les départements c’est donc, de fait, reconstituer les anciennes provinces que la République a eu tant de mal à effacer !

Si notre sherpa a pu formuler une telle proposition, proférer une telle absurdité, c’est certainement que perdu dans une vision purement technocratique et rationaliste du monde, il a simplement oublié que son travail et la vision du monde qui l’anime ne constituait pas à réanimer le sentiment d’appartenance régional ou national, mais simplement à œuvrer à son extinction progressive.

La France peut s’ouvrir sur le monde, la France peut verser des larmes de crocodiles quand une culture se meure au bout fin fond de la planète, mais la France une et indivisible ne peut reconnaître l’existence des cultures dites « régionales » en son sein, puisqu’elle s’est précisément construite sur leur négation.

Les élus de notre belle République, rompus à l’orthodoxie républicaine et rendus hagards par les échéances de Mars, n’ont pas oubliés, eux, sur quoi s’est fondée la République. Marianne (qui d’autre entre nous, avec un nom pareil) nous apprend en effet que la plupart d’entre eux jugent simplement « absurde » la suppression des départements. Et c’est Sarkozy lui-même, bon prince et pédagogue en chef, qui nous en explique la raison : «Je ne crois pas que les Français sont prêts à renoncer à la légitimité historique des départements». Oui, la légitimité historique des départements, si ce n’est pas du niveau des armes de destruction massives de son copain W, on doit être tout près. «Ce n'est pas une question de peur. C'est une question de priorité. (….) Dans un monde qui est devenu un village, cela coûte beaucoup plus cher de perdre son identité que d'accumuler des strates de collectivités». Et dire que j’avais la vague impression d’être alsacien. Eh bien non. Non, non. Je suis du six huit. Mon identité c’est le six huit! Pas même le six neuf. Non, le six huit. Le monde est un village et mon identité, vous savez, celle que je ne veux pas perdre, c’est le six huit. Ça va certainement sans dire, mais ça va tellement mieux en le disant. Allez, noch a mol, mon identité c’est le six huit.

Alors quoi ? Sarkozy est un bouffon tragique ? Nos politiques sont des carriéristes rompus à la langue de bois et acquis à l’air du temps ? Certes. L’actualité politique ressemble étrangement à un cirque. Mais la politique est chose sérieuse, il ne faudrait pas la laisser trop longtemps aux mains de nos politiques sans les surveiller.

Liberté d’expression, fédéralisme, subsidiarité, référendum et initiative populaire, si la souveraineté populaire a un sens, nous devons bien reconnaître, nous alsaciens, que nous ne sommes que très moyennement souverains.

Et pourtant la terre tourne, nous restons lucides et déterminés, des clowns plus ou moins pathétiques jouent leur rôle devant des caméras et dans des ministères. Nous sommes les spectateurs. Et nous ne sommes pas dupes.

Les acteurs ne le savent certainement pas. Notre sherpa du moment n’est pas au courant .Mais c’est pourtant ainsi : ils sont nus devant nos yeux. Et c’est pourquoi, malgré tout ce cirque, nous demeurons libres. L’avenir est ouvert.

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