dimanche 20 janvier 2008

Davantage d'Alsace

par Jean-Marie Woehrling, président de l'Institut du droit local alsacien-mosellan

En cette époque ou la mondialisation semble dicter implacablement notre avenir, il est en temps de retrouver l’importance de la solidarité collective qui nous unit sur ce bout de terre entre Vosges et Rhin. Le moment est venu pour les habitants de ce pays de s’affirmer comme tels et d’en tirer les conséquences avec intelligence et fierté.

En effet, comme pour d’autres régions, la fierté d’être Alsacien constitue un facteur essentiel de bien vivre dans notre région ; il renforce la solidarité, l’efficacité et l’ouverture. Cette fierté mérite d’être portée par tous les Alsaciens quelle que soit leur origine ou leur histoire personnelle. Elle n’est pas exclusive, mais renforce au contraire l’attachement à d’autres niveaux (la France, l’Europe,…), l’engagement pour d’autres valeurs, (écologiques, spirituelles, l’action dans d’autres domaines (économiques, sociaux, …).


Nous ne prétendons avoir de recettes miracles pour résoudre les problèmes liés à la pollution planétaire, aux risques d’une crise économique mondiale, aux conséquences des migrations qui affectent des continents entiers, aux menaces d’un terrorisme globalisé, etc. Nous avons l’honnêteté de dire qu’à notre niveau, et même au niveau national voire européen, nous ne pouvons avoir d’influence limitée sur ces phénomènes. Mais nous pouvons changer beaucoup de choses dans notre région et au niveau de nos agglomérations. A défaut de prétendre faussement résoudre des problèmes insolubles, attaquons-nous à ceux qui sont à notre portée. Pour cela, revendiquons notre responsabilité pour notre région et donnons les outils appropriés.


L’expérience nous montre que les entités qui gèrent le mieux leurs affaires sont des unités de taille limitée : petits Etats, régions autonomes, entités fédérées. Nous le constatons tous autour de nous : les cantons de Bâle, les Länder allemands, le Luxembourg, se débrouillent mieux que nous, car leurs compétences sont plus larges. Un peu plus loin de nous, le Tyrol du Sud, autrefois, région pauvre tire très bien son épingle du jeu. Les petits pays comme l’Irlande et les Pays Bas sont plus réactifs que les gros. Nous pouvons en faire autant en Alsace si, au lieu de nous considérer comme une banlieue de Paris, nous misons sur notre personnalité propre, nous développons les attributs de notre région.

Il importe de mettre en œuvre les instruments qui peuvent nous permettre de nous réapproprier notre destin, de retrouver notre part d’autonomie. Cette question a une dimension individuelle mais aussi collective. Rien de pire pour les habitants de cette région de ne voir dans celle-ci qu’un territoire qu’ils « occupent », une circonscription du marché globalisé. Il s’agit de reconstituer autour d’un projet régional un sentiment de communauté entre tous les habitants de l’Alsace.

Nous n’avons pas de vision passéiste de cette personnalité ; nous ne rêvons pas à un retour à un âge d’or, ni ne nous plaignons des avatars de l’histoire. Mais il nous faut sortir d’une perception infantilisante de l’Alsace, de la folklorisation de son identité culturelle, pour affirmer un projet collectif qui met en valeur ce qui caractérise ce pays. Pour cela, il fait reprendre conscience de ce qui fait sa richesse. Une région qui n’a pas conscience de ce qu’elle est, d’où elle vient et ou elle va, qui n’est pas au clair avec sa personnalité, est privée de l’épine dorsale qui lui est nécessaire pour construire son avenir.


Nos avantages naturels résident dans notre tradition pluriculturelle et dans notre position transnationale. Ce qui a de tous temps fait la richesse de Alsace c’est la synthèse entre l’esprit latin et le génie germanique, entre les cultures française et allemande, c’est l’accès aux deux langues. La spécificité historique et géographique de l’Alsace est de participer à la fois aux héritages culturels français et allemand. Région française de culture allemande. Cette dualité n’est aujourd’hui plus une contradiction mais une richesse. Elle n’a pas dépassé, même si seulement une fraction de la population d’Alsace y a encore accès. Elle peut redevenir une richesse pour tous. Nous avons le devoir de sauvegarder cette dimension originale tout en l’ouvrant à de nouvelles influences, dès lors que celles-ci l’enrichissent et ne la détruisent pas.

Par héritage culturel nous n’entendons pas la préservation de traditions folkloriques qui, pour respectables qu’elles soient ne peuvent et ne veulent pas avoir une signification politique. Ce qui est en cause, c’est une conception de la société, un ensemble de valeurs qui ne sont certes pas exclusives mais fondamentales. Parler de valeurs est devenu un lieu commun. Nous entendons redonner sa force à cette démarche. Fidèle à la tradition humaniste de l’Alsace, nous n’hésitons pas à dire que la politique doit retrouver une dimension éthique. Celle-ci commande nos relations avec nos concitoyens et avec notre environnement. Nous croyons que l’attention à la dimension spirituelle fait partie de l’identité de cette région. Elle s’exprime par le statut particulier que les Alsaciens ont voulu conserver pour leurs Eglises, mais aussi dans la légitimité qu’ils attribuent aux préoccupations sociales et dans leur engagement pour la nature. Nous voulons renforcer les compétences locales qui nous permettent de mieux résister au matérialisme et à l’individualisme de la société ambiante (règlementation des fermetures dominicales, protection sociale, statut des religions, etc.). Nous voulons disposer des moyens d’orienter nos budgets locaux vers moins de consommation et de superflu et vers plus d’investissement dans l’humain.


A la base de notre stratégie régionale doit se trouver un projet linguistique. Le projet linguistique de l’Alsace n’est pas conçu comme un repli sur le dialecte. Il s’incarne dans l’idée de bilinguisme ouvert sur les deux grandes cultures européennes historiquement présentes dans cette région. Il vise la réalisation d’un modèle pédagogique qui permet en plus du français l’acquisition en profondeur de l’allemand standard. C’est un modèle qui enrichit toute l’Alsace, même ceux qui ne seront pas eux-mêmes bilingues, car il élargit l’horizon culturel et économique de la région dans son ensemble et constitue le cadre le plus favorable pour l’acquisition d’autres langues. Ce projet est en théorie approuvé par les autorités scolaires et par les autorités locales mais il est n’est pas mis en œuvre de manière effective. Nombreux sont les parents qui doivent constater que le souhait de voir leurs enfants accéder à un enseignement bilingue est rejeté pour toutes sortes de motifs par l’éducation nationale ou doivent constater que les filières créées ne bénéficient pas des conditions permettant leur succès.


De nombreux exemples étrangers nous montrent qu’un autre modèle pédagogique est possible. Pour cela il faut que les habitants de l’Alsace puissent exercer eux-mêmes leurs choix et leurs responsabilités sur le système éducatif. Notre institution scolaire reste enfermé dans un système bureaucratique et centralisé caractérisé par un taux d’échec croissant malgré l’investissement de moyens considérables. Seul le transfert d’un pouvoir d’initiative dans le cadre régional à de nouveau acteurs peut donner un nouveau souffle et une nouvelle efficacité à cet appareil éducatif. Une large compétence régionale en matière éducative, c’est le choix que nous faisons pour l’Alsace. Mais nous ne voulons pas substituer un monolithisme régional à un monolithisme national.

De vraies compétences bilingues et la restauration de la double culture, non pas seulement à l’Ecole mais dans la vie publique permettront à l’Alsace de concrétiser sa vocation rhénane et européenne alors que celle-ci reste actuellement largement théorique. La coopération transfrontalière stagne faute de connaître vraiment nos voisins dans leur langue et dans leur culture. Strasbourg revendique être une capitale de l’Europe alors que la pratique actuelle l’enferme dans une mentalité provinciale. Il nous faut une politique culturelle ouverte à 360 ° degrés et non inféodée à Paris.


De façon générale, nous voulons que soient données à cette région les compétences qui seront le mieux exercées à son niveau en laissant aux niveaux de l’Etat et de l’Europe les responsabilités qui leur reviennent légitimement. Nous voulons réaliser ce que tous les gens censés de cette région estiment nécessaire : une restructuration des institutions régionales, départementales et locales adaptée aux caractéristiques de ce territoire. Nous préconisons à cette fin d’utiliser les possibilités offertes par le droit existant pour obtenir une adaptation du cadre institutionnel de la région : nous voulons la création d’une nouvelle collectivité régionale avec une assemblée d’Alsace, la suppression des départements dont les compétences seront ventilées entre la Région et une dizaine de communautés urbaines ou d’agglomérations dans le cadre desquelles pourrait se réaliser une véritable décentralisation exempte de jacobinisme régional. Nous ne voulons en effet de concentration des pouvoirs et des ressources ni à Paris ni à Strasbourg, mais une organisation du territoire régional qui donne sa place à chacune des entités locales. Nous voulons pour cela réagir contre la concentration dans trois ou quatre villes de la région de la quasi-totalité des services hospitaliers, judiciaires, de secours, etc.

Les instances régionales et locales doivent disposer de pouvoirs qui leur permettent de définir à leur niveau d’une politique globale dans les domaines ou le patrimoine régional est menacé.
En dehors de la dimension culturelle, il est manifeste que la région est gravement atteinte au plan social et environnemental. Pour restaurer la cohésion sociale, il n’est plus suffisant d’invoquer une citoyenneté abstraite. Le cadre régional peut servir pour fonder une nouvelle adhésion, un sentiment de communauté, incarné dans un projet spécifique. La sauvegarde de ce qui reste de milieux naturels ne peut être atteinte que par une discipline sévère fondée sur une solidarité et sur une éthique collective régionale.


Ces ressources (compétences, discipline, éthique, etc.), bien d’autres entités de la taille de l’Alsace (et souvent encore plus réduites) en disposent. Ayons la lucidité et le courage de les revendiquer aussi pour nous. Commençons par en convaincre nos compatriotes Alsaciens. Le reste viendra de surcroît.

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