mardi 19 février 2008

Prise de conscience


C’est un débat plutôt insolite qui a eu lieu vendredi soir dans cette enceinte -la communauté de communes d’Altkirch- où d’ordinaire on discute davantage ordures ménagères, éclairage public et eau potable. Un débat insolite mais véritablement de fond et qui tombait pile quelques jours à peine après que le tribunal administratif de Strasbourg ait examiné l’affaire du bilinguisme au collège de Seppois-le-Bas. D’ailleurs, il faut reconnaître au député-maire et président de la com-com, Jean-Luc Reitzer, le mérite d’avoir transformé ce qui devait se cantonner à une intervention d’un quart d’heure en une discussion riche de près de 1h30.La perte du dialecte et son corollaire direct, la non maîtrise de l’allemand standard est une des conséquences de la dégradation de la situation de l’emploi dans le Sundgau. Voire LA conséquence quand on parle du travail frontalier dont on sait qu’il représente jusqu’à 80% des actifs d’un village dans certains coins du Sundgau comme le secteur de Ferrette.C’est en substance la vérité qu’a assenée Stéphane Cheref, directeur de la maison de l’emploi du Sundgau et de St-Louis. Exit donc le débat sur l’anglais qui serait incontournable ! Non ! Ici, dans le Sundgau, pour travailler en Suisse il faut parler l’allemand ! Bien entendu, Stéphane Cheref ne s’est pas contenté de balancer cette affirmation sans preuve. Ce technicien que l’on ne soupçonnera pas de sympathies « Rot un Wiss » puisqu’il n’est pas dialectophone et qu’il était auparavant en poste en France dite de l’intérieur, a appuyé son propos sur une étude menée par la maison de l’emploi. Aujourd’hui, des statistiques démontrent donc ce que certains disent depuis longtemps mais avec la désagréable impression de prêcher dans le désert. Les entreprises suisses n’embauchent plus les Sundgauviens car ils ne parlent plus l’allemand.

« L’économie suisse est au vert, mais les entreprises recrutent des Allemands »

« Tous les indicateurs de l’économie suisse sont au vert. Mais aujourd’hui, la reprise économique en Suisse n’a plus de répercussions automatiques sur l’emploi dans le Sundgau. Les entreprises préférent recruter des Allemands. Jusqu’à peu, les frontaliers français dominaient largement dans le nord-ouest de la Suisse. Mais aujourd’hui, Français et Allemands arrivent à peu près à égalité. On compte 31 000 frontaliers français et 29 000 frontaliers allemands. Cette proportion n’était du tout la même il y a quelques années seulement. Deux raisons expliquent le phénomène. Elles sont d’ailleurs étroitement liées. Premièrement, on constate une inadéquation totale des qualifications des frontaliers français. Ils sont trop peu qualifiés. Et puis, raison la plus grave : les frontaliers français ne parlent plus ni l’alsacien et ni l’allemand. C’est aussi simple et aussi dramatique que cela », a martelé Stéphane Cheref face à un auditoire interloqué, médusé et qui -peut-être ?- se sentait… coupable. Coupable car devant la théorie statistiquement démontrée, les élus se sont peut-être dits qu’il avaient « loupé le train ». Qu’ils n’avaient peut-être pas saisi que la langue était bel et bien un enjeu économique majeur. Peut-être même plus important ou au moins équivalent à celui des… routes. Et assurément bien plus déterminant que de sempiternelles et vaines discussions sur un hypothétique développement touristique ou d’obscures animations socioculturelles ! Coupables peut-être aussi d’avoir raillé les rares qui, comme le conseiller général de Hirsingue Francis Demuth, ont sans cesse dit et redit tout l’intérêt du bilinguisme. Et dont force est de reconnaître aujourd’hui qu’ils avaient tout simplement raison ! Et même qu’ils menaient un combat avant-gardiste et certainement pas réactionnaire, passéiste ou encore -comme soupçonnaient (accusaient ?) certains pseudopatriotes d’un autre temps s’estimant dépositaires du savoir- carrément nauséabond car nostalgique d’une période noire ou plus exactement brune de notre histoire !

L’Education nationale au banc des accusés

Ils avaient raison car même si l’on peut légitimement contester le fait que les classes bilingues soient la panacée, ils avaient au moins compris que le Sundgau devait tendre vers un bilinguisme parfait s’il veut sauver son économie en grande partie dépendante de nos voisins helvètes. Car c’est bien du bilinguisme dont il s’agit dans cette affaire. C’est du moins de cela dont il a été âprement débattu lundi soir. Un débat qui pour la première fois a peut-être donné le sentiment que les esprits évoluaient sur ce sujet tabou. Un Jean-Luc Reitzer qui longtemps se montrait quand même relativement frileux ou du moins peu disert sur cette question, a par exemple répété plusieurs fois lundi soir combien « capitale est aujourd’hui la maîtrise des langues étrangères en matière d’économie ». « C’est vrai, la France est à la traîne. Lorsque j’ai l’occasion d’assister à des échanges internationaux entre lycée d’Altkirch et des établissements danois, allemands ou finlandais, je reste impressionné par la maîtrise parfaite à la fois de l’anglais et de l’allemand de ces lycéens étrangers », a commenté le député-maire qui a confié avoir pris la mesure du problème l’année dernière lorsqu’il a du assurer la médiation à l’école primaire de Seppois-le-Bas où la filière bilingue s’était trouvée brutalement interrompue faute d’un enseignant disponible pour dispenser les cours en allemand. « Ce n’est pas toujours un problème de volonté politique. Parfois on manque tout simplement de moyens humains, c’est-à-dire de personnel capable d’enseigner en allemand. Quant à la situation locale, c’est vrai que nous perdons la pratique de la langue allemande et que nous n’avons peut-être pas su en évaluer les conséquences ». Rebondissant sur les propos du député, Claude Kayser, élu d’Aspach, s’est montré lui carrément incisif envers une institution qu’il connaît pourtant bien pour en avoir été durant une partie de sa vie professionnelle. « L’Education nationale a tout fait pour casser la filière bilingue. Aujourd’hui on en est au point de se retrouver à la barre du tribunal administratif, c’est lamentable ». Un avis auquel l’altkirchois Albert Kraft opposa l’argument classique des « anti-bilinguisme » : à savoir que ces classes là ne s’adressent qu’à une minorité pour ne pas dire une élite. « Il faut arrêter d’injecter des moyens dans ces classes bilingues et initier une vraie politique d’apprentissage des langues pour tous ».

Le débat est aujourd’hui posé

En tous les cas, d’accord ou pas d’accord avec l’enseignement bilingue, d’accord ou pas d’accord sur la manière de l’initier, le débat de lundi soir au sein une communauté de communes dont ce n’est absolument pas la compétence, témoigne au moins que l’affaire du bilinguisme dans le Sundgau quitte aujourd’hui les sphères partisanes pour s’imposer comme une question fondamentale. Et si la fameuse maison de l’emploi dont la pertinence a été et reste contestée par pas mal d’élus qui n’y voient qu’une nouvelle strate technocratique n’aura servi qu’à cela, ce sera déjà énorme.

Julien Steinhauser

Édition des DNA / dimanche 17 fév. 2008
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Après lecture de cet article qui a le mérite de mettre au jour les réalités alsaciennes, la première chose qui me vint à l'esprit est: alea jacta est! Le Sundgau était il y a quelques années encore un bastion de la dialectophonie (ou germanophonie !) au même titre que le pays de Saverne, l’Outre-Fôret (Wissembourg) et l’Alsace bossue (Krummes Elsass), elles d’expression francique. Plus le temps passe, plus la situation linguistique générale s’uniformise pour atteindre les taux lamentables déjà constatés depuis longtemps dans les grandes villes alsaciennes. Il suffit de regarder autour de soi, le bilinguisme est devenu inexistant, restera figé sur des plaques de rues, tristes mémoriaux qui sont loin d'être le signe du renouveau de la langue mais bien plus le chant du cygne. La langue régionale est réduite à un simple pidgin qui ne trouve plus qu’une place insignifiante sur la chaine publique, en VOST SVP !

Il est intéressant de constater que dans ce monde marchandisé à l'extrême, la sauvegarde du bilinguisme n’est soutenue que part un seul et unique argument de poids : l’économie et principalement l’économie transfrontalière. Les Alsaciens, citoyens et contribuables de ce gros dinosaure froid et irréformable qu’est devenu la France, dont l’économie est de plus en plus mise à mal et dont la balance commerciale atteint des déficits record, auraient-ils fin pris conscience que le bilinguisme est un enjeu bien plus important et vital que la gestion du tri sélectif des ordures ménagères (sic) ? A la sortie de ce long coma qui aura duré plus de 60 ans, les conséquences vont être catastrophiques et risquent bien de frapper là où ça fait mal. Le porte-monnaie!


Par reniement de soi et par simple lâcheté, on occulte totalement l’argument culturel, défendu avec tant d’ardeur par quelques irréductibles Alsaciens tendance « Rot un Wiss » considérée par les biens-pensants d’autrefois et les opportunistes d’aujourd’hui comme une tare héritée d’un passé douloureux. N’empêche que ces possédés avaient raison tant sur diagnostique que sur le remède, mais ne dit-on pas que nul n’est prophète en son pays ?

Car la question de fond n’est pas de savoir ce que l’on gagnera avec la mise en place d'une politique (mesurée) en faveur du bilinguisme mais bien ce que nous avons perdu après toutes ces années d’inaction.

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