jeudi 8 mai 2008

L'Alsace prend part au débat

Pour la première fois dans l'histoire de la Vème République, le débat tant attendu sur les langues régionales de France a bien eu lieu à l'Assemblée nationale mais devant un hémicycle étrangement vide (départ en weekend anticipé?). La défense de diversité linguistique en France n'est apparemment pas assez vendeur pour la majorité des parlementaires hexagons. Qu'importe, ceux qui ne daignent représenter convenablement les intérêts de leurs concitoyens ont tort car nous, on a les noms de ceux qui font les cons! L'Histoire, pour le moins mouvementée, des relations politiques entre la capitale et l'Alsace nous démontre bien que les élites parisiennes, du haut de leur tour d'ivoire, ignorent prodigieusement les spécificités des provinces françaises. Nos courageux députés, lorsqu'ils ne font pas défaut au Palais Bourbon, sont là pour le leur rappeler! Les occasions demeurant rares, saluons le député PS strasbourgeois Armand Jung (on le sait partisan de la ratification par la France de la Charte des langues minoritaires contrairement au canal local UMP au garde à vous devant Sarközy) pour sa brillante intervention qui souligne la spécificité historique, linguistique et culturelle de notre région et lui donne sa véritable dimension, une dimension au-delà des frontières étatiques rigides et vieillottes, une dimension européenne!

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Depuis la Seconde guerre mondiale, une longue série de documents visant à reconnaître les langues régionales a été soumise à l’attention de l'Assemblée nationale. De propositions de loi en décrets et circulaires, des gouvernements de tous bords et pas moins de trois Présidents de la République, dont l’actuel, ont pris des engagements précis en faveur des langues régionales. À ce jour, pourtant, aucune de ces démarches n’a abouti. L’unité de la République serait-elle donc menacée, ou ne s’agit-il que d’un vieux centralisme jacobin ? Comment interpréter autrement la récente décision du ministère de l’intérieur de supprimer sans autre forme de procès la traduction des professions de foi en allemand en Alsace-Moselle ? Aucune raison, pas même financière, ne justifiait pourtant cette mesure blessante et inutile.

Outre qu’elles constituent un atout économique d’importance, les langues régionales, parlées par plusieurs millions de Français, sont à la fois populaires et littéraires. Jean Jaurès s’adressait souvent à la foule en occitan. En Alsace, la Révolution française s’est faite au cri de Freiheit, Gleichheit, Brüderliebe, et la Marseillaise était chantée en allemand, norme des dialectes alsacien et mosellan. C’est en alsacien que furent menées les grèves de 1920, de 1936 et de 1968 et, aujourd’hui, c’est en alsacien que les supporters soutiennent leur équipe de football, le Racing Club de Strasbourg ! Le premier poème rimé en allemand vient d’Alsace, de même que la première Bible allemande imprimée. Le premier roman populaire et le premier journal en langue allemande ont été publiés en Alsace. Ces œuvres, au même titre que celles d’Aimé Césaire, enrichissent le patrimoine culturel français. Entre leur langue régionale et la langue nationale, les Alsaciens et les Mosellans peuvent s’entretenir et travailler avec cent millions de francophones et autant de germanophones. L’économie régionale s’inscrit dans le bassin rhénan, et l’alsacien représente un puissant atout économique. Songez que 12 % des actifs alsaciens travaillent en Suisse alémanique ou en Allemagne !

L’alsacien, parlé par 650 000 personnes, est l’une des langues régionales les plus répandues et les mieux transmises avec le corse – le taux de transmission familiale résiduelle est de 10 % de locuteurs d’une génération à l’autre. Hélas, à ce rythme, qu’adviendra-t-il des 10 000 derniers locuteurs en 2050, sachant qu’il faut 100 000 locuteurs environ pour garantir la survie d’une langue ?

Le cas de l’Eurodistrict de Strasbourg, Kehl et Ortenau, créé par MM. Chirac et Schröder, est symptomatique. Comment tolérer que les débats s’y déroulent avec l’aide de traducteurs ? Il y a trente ans à peine, l’Alsace fournissait l’essentiel du personnel germanophone de France dans l’enseignement, la diplomatie, l’armée ou les entreprises. Aujourd’hui, elle ne compte plus assez de germanophones pour satisfaire ses propres besoins !

À la veille d’une révision substantielle de la Constitution, il est impossible de ne pas envisager d’en modifier l’article 2, afin d’y faire référence aux langues régionales qui font partie intégrante de notre patrimoine commun. Voilà qui ouvrirait du même coup la voie à la ratification de la Charte européenne des langues régionales, signée par le gouvernement de M. Jospin.

Il n’y a pas de langue supérieure. La richesse de notre histoire commune réside précisément dans notre diversité. Reconnaître les langues et les cultures régionales, c’est accepter la place de l’autre. Ne pas le faire, c’est prendre le risque de réduire cette diversité à une situation unilingue et uniforme.

Si je me félicite de la tenue de ce débat, je mets néanmoins en garde le Gouvernement contre la tentation de faire miroiter de faux espoirs à nos concitoyens, sous peine de provoquer la déception, voire la révolte de celles et ceux qui attendent depuis si longtemps la reconnaissance par la République de leur spécificité linguistique.

J’ajoute, Monsieur le Président, qu’un premier pas vers cette reconnaissance consisterait à s’efforcer de prononcer correctement les noms des députés que vous appelez à la tribune!

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